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Le dénigrement peut être constitué, même en l’absence de situation de concurrence entre les personnes concernées.

Par un arrêt de la chambre commerciale économique et financière du 4 mars 2020 (n° 18-15651), la Cour de Cassation vient d’apporter une précision importante en matière de dénigrement.

Classiquement, le dénigrement se défini comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer profit. Il s’agit d’une faute constituant un acte de concurrence déloyale, sanctionnée par l’engagement de la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du code civil (anc. art. 1382 du code civil).

Dans son arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation précise que « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ».

On retiendra tout d’abord que la Cour élargit le champ d’application de la notion de dénigrement qui était traditionnellement cantonnée à l’une des déclinaisons de la concurrence déloyale. En effet, selon l’arrêt commenté l’acte fautif de dénigrement ne nécessite pas un état de concurrence entre l’auteur et sa « victime ».

D’autre part, présageant sans doute les risques que peut entraîner l’élargissement du champ d’application du dénigrement au regard de la liberté d’expression ou d’information, la Cour de Cassation exige trois conditions cumulatives pour que l’information ne soit pas qualifiée de dénigrement :

  • l’information doit se rapporter à un sujet d’intérêt général. La notion d’intérêt général, standard juridique par excellence, échappe quelque peu à une définition stable…

Mais cette exigence se situe dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de Cassation (voir p. ex. Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 15-22.946) et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme traitant de l’équilibre délicat entre la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée (CEDH, 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France, n° 40454/07, § 102 et 103).

  • l’information doit reposer sur une base factuelle suffisante.

Ici est introduite une condition de véracité de l’information divulguée mais cet élément n’est pas suffisant à lui seul.

  • l’information doit être exprimée avec une certaine mesure.

Sans que la Cour ne précise en quoi consiste « une certaine mesure », on comprend aisément que celle-ci vise aussi bien l’information elle-même (propos mesurés, emploi du conditionnel…) que les moyens employés pour sa divulgation, spécialement à l’ère des réseaux sociaux.

Certains des acteurs et institutions dans le domaine de la santé (établissement de santé, centres de santé, professionnels de santé, ordres professionnels), évoluent dans des secteurs pouvant présenter de fortes tensions concurrentielles (on songe par exemple aux chirurgiens-dentistes avec les centres de santé dentaire), seront attentifs à l’arrêt commenté car le secteur de la santé est assurément un marché sur lequel des positionnements nouveaux voient le jour, tout en restant marqué par des contraintes réglementaires fortes. A cet égard, les sujets d’intérêt général ne manquent pas !

Ainsi, sous réserve de l’application des règles déontologiques des professions concernées, on peut penser qu’il sera plus aisé pour ces acteurs d’échapper à la qualification de dénigrement puisqu’en tout état de cause l’exigence d’une information ayant un rapport avec un sujet d’intérêt général serait d’ores et déjà remplie sachant cependant qu’il faudra également que l’information soit suffisamment mesurée et étayée.

Musset Avocats,  23 mai 2020  – Me Henri Moulière